Parcoursup : comment s’opère le tri des dossiers des candidats en fac de droit

Classement automatique ou étude individuelle des dossiers de candidature des lycéens, chaque université a sa méthode.
Parcoursup
Alors que certains campus restent bloqués par des étudiants opposés à la réforme des règles à l’entrée de l’université, dénoncée comme celle de la sélection, dans les établissements, l’examen des candidatures à l’entrée en licence se poursuit. Le temps presse pour effectuer ce travail inédit : les enseignants-chercheurs doivent avoir classé les dossiers reçus dans deux semaines à peine. Le 22 mai, les réponses des formations seront en effet dévoilées aux quelque 810 000 lycéens et étudiants en réorientation. Ces derniers ont validé 6,3 millions de vœux d’orientation sur la nouvelle plate-forme d’admission dans l’enseignement supérieur, Parcoursup.
En coulisses, dans les commissions d’examen, qui travaillent depuis un mois sur les fichiers Excel alignant les caractéristiques de ces milliers de jeunes qui frappent à la porte de l’université, les stratégies sont extrêmement différentes d’une université à l’autre. C’est ce que montre l’enquête menée par Le Monde dans la filière juridique, où la question prend une acuité particulière, étant donné le volume de candidatures très élevé à traiter.
Les 14 000 dossiers reçus en droit à Paris-I Panthéon-Sorbonne pour 600 places en première année, les 5 700 à Toulouse (1 700 places) ou encore les 1 900 à Toulon (650 places) n’ont pas connu le même sort. « Il n’y a eu aucun paramétrage commun entre universités, déplore un président de commission d’examen. Les facs sont donc parties à l’aventure, en solitaire, et un même lycéen, qui voudra faire du droit à Dijon, à Paris, ou à Nanterre ne sera pas évalué de façon identique. »
Si le ministère a fixé un cadrage national aux « attendus » des licences – ces compétences jugées nécessaires pour chaque discipline de licence –, liberté a été laissée aux établissements pour établir le classement des candidats à partir des différents éléments déposés par les lycéens sur la plate-forme – notes, lettre de motivation, CV…
« On a dû départager au pif… »
La majorité des commissions d’examen en droit ont dans un premier temps généré un classement automatique, en constituant leur propre algorithme à partir des notes obtenues par le candidat en première et terminale dans certaines matières, ainsi que celles de l’épreuve anticipée du bac en français, et parfois avec l’avis du conseil de classe du lycéen, qui pouvait être traduit en chiffre.
A l’université de Rouen, il a été décidé de s’en tenir à ce premier classement, réalisé avec les moyennes des lycéens en première et terminale en français, mathématique, histoire-géographie et langues vivantes, et les notes aux épreuves anticipées du bac en français. « Il s’agissait pour nous des critères les plus objectifs, explique le président de l’établissement, Joël Alexandre. Quand on sait que les lettres de motivation ont pu être rédigées avec l’aide d’officines privées payantes, cela ne nous semblait pas pertinent d’en tenir compte. » Seul ajustement prévu dans son établissement : pour conserver une « sociologie similaire » à celles des années précédentes, une pondération selon le type de bac doit permettre d’assurer la même proportion de places aux bacheliers professionnels, technologiques et généraux.
D’autres universités ont, elles, décidé de se plonger dans les dossiers. Mais chacune à leur manière. Si Paris-V Descartes a réparti entre les mains des enseignants-chercheurs l’intégralité des 10 000 dossiers reçus, avec une grille de critères à examiner pour chacun des attendus, ce sont seulement ceux des lycéens arrivés ex æquo à l’issue du classement automatique effectué à partir des notes qui sont examinés à Toulouse ou Paris-II Assas. Ainsi que les cas problématiques, lorsque des pièces manquaient au dossier.
A l’université Paris-I, une autre stratégie a été déployée. Après un classement automatique – réalisé à partir des notes de première et de terminale de certaines matières, pondérées selon la série du bac, des épreuves anticipées de français, de l’avis du conseil de classe transformé en chiffre, et avec des éléments de bonification pour des lycéens qui ont suivi des options comme le latin ou le droit –, ce sont les premiers milliers de dossiers obtenus qui ont été pour l’instant répartis entre les vingt enseignants-chercheurs de la commission d’examen, afin de leur apporter une note supplémentaire qui comptera dans le classement final des 14 000 candidats.
« Dans cet examen, nous avons regardé l’ensemble du dossier, les notes, le classement dans la classe du lycéen, les appréciations des enseignants, la lettre de motivation et le CV », décrit François Guy Trébulle, directeur de l’école de droit qui préside la commission d’examen. Un document d’appui a été transmis aux enseignants-chercheurs : le classement des meilleurs lycées – nationaux et parisiens – réalisé à partir des données du ministère. « On sait que, de fait, certains lycées sont plus exigeants que d’autres dans la notation », explique le juriste.
Un autre critère, encore inconnu, est attendu : les rectorats doivent fixer des quotas maximaux d’étudiants venant d’une autre académie qui pourront être acceptés dans un établissement. Ce qui ne manquera pas de rebattre les cartes du classement, quand on sait que deux tiers des dossiers reçus par l’université parisienne ne proviennent pas de son académie.
Dans ce processus inédit, certains enseignants-chercheurs qui participent à ces diverses commissions tirent déjà un premier bilan critique, interrogeant le sens de ce classement qui leur est demandé. « Nous avons ouvert des centaines de dossiers dont on ne sait que penser, tant ils se ressemblent, et qu’on a dû départager au pif… On se dit vraiment qu’on passe du tirage au sort à la loterie », lâche, dépité, un professeur qui préfère garder l’anonymat. « S’il est facile de juger les très mauvais dossiers ou les très bons, l’immense masse est très homogène », abonde Aurore Chaigneau, présidente de la commission d’examen à Nanterre, qui a reçu 7 500 dossiers à classer.
« C’est mission impossible »
Avec un problème technique de taille, qui est venu lui compliquer la tâche : « Comment départager 4 100 dossiers ex æquo ?, interroge l’enseignante. Même en les ouvrant à la main, nous sommes limités à trois chiffres après la virgule pour noter les dossiers, c’est mission impossible. »
Alerté sur le problème qui touche les licences attirant un très grand nombre de candidatures, le ministère vient de produire un outil dans l’urgence, transmis pour l’instant à Paris-I, pour départager de manière automatique ces ex æquo en s’appuyant sur un critère choisi – par exemple, la note aux épreuves du bac de français. « Nous avons demandé un report au ministère de la date du 22 mai pour ne pas remonter des classements approximatifs, qui devront être adaptés à la dernière minute », rapporte Aurore Chaigneau. Une demande rejetée par le ministère.
Reste que ces classements auront un impact très différent d’une université à l’autre. Si, en région francilienne, ils risquent de déterminer le fait d’obtenir, ou non, sa place dans la fac demandée, ce n’est pas forcément le cas en région. « Nous devrions n’avoir aucun effet sélectif et accueillir tous les jeunes qui souhaitent faire du droit chez nous, évalue Thierry Di Manno, doyen de la faculté de Toulon, qui préside la commission d’examen. Dans son établissement, ce classement sert surtout à déterminer les candidats auxquels l’université répondra « oui si », ce qui signifie qu’elle les orientera vers une année « tremplin », une année de remise à niveau. Il fait partie des rares facultés de droit qui prévoient la création d’un tel parcours.